Déportation des résistants
 
En sous page se trouve une carte des camps de concentration d'Europe.
Un autre moyen de répréssion a été la déportation des résistants. 63000 résistants ont été déportés durant la période d'occupation nazie du territoire et 26000 périront dans des camps de concentration.
Voici un extrait de témoignage de résistante déportée lors des procès de Nuremberg:

Monsieur DUBOST : - Avec l'autorisation du Tribunal, nous poursuivrons cette partie de l'exposé du cas français par l'audition d'un témoin qui a vécu pendant plus de trois ans dans les camps de concentration allemands. 

(On introduit Madame Claude Vaillant-Couturier.) 

LE PRESIDENT : - Quel est votre nom ? Voulez-vous vous lever, je vous prie ? Voulez-vous prêter serment en français ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Claude Vaillant-Couturier. 

LE PRESIDENT : - Répétez le serment avec moi : "Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité." 

Levez la main droite et dites : "Je le jure". 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Je le jure. 

LE PRESIDENT : - Asseyez-vous et parlez lentement. Vous vous appelez ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : Vaillant-Couturier, Marie, née Claude Vogel. 

Monsieur DUBOST : - Votre nom actuel est Madame Vaillant-Couturier ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER: - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Vous êtes la veuve de M. Vaillant-Couturier. 

Madame VAILLANT-COUTURIER: - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Vous êtes née à Paris le 3 novembre 1912 ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER: - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Vous êtes de nationalité française ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Née de nationalité française ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Parents eux-mêmes de nationalité française ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Vous êtes Député à l'Assemblée Constituante ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Vous êtes Chevalier de la Légion d'Honneur ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Et vous venez d'être décorée par le général Legentilhomme aux Invalides ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Oui. 

Monsieur DUBOST : - Vous avez été arrêtée et déportée. Pouvez-vous faire votre témoignage ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - J'ai été arrêtée le 9 février 1942 par la Police française de Pétain, qui m'a remise aux autorités allemandes au bout de six semaines. 

Je suis arrivée le 20 mars à la prison de la Santé, au quartier allemand. J'ai été interrogée le 9 juin 1942. A la fin de mon interrogatoire, on a voulu me faire signer une déclaration qui n'était pas conforme à ce que j'avais dit. Comme j'ai refusé de la signer, l'officier qui m'interrogeait m'a menacée, et comme je lui ai dit que je ne craignais pas la mort ni d'être fusillée, il m'a dit : "Mais nous avons à notre disposition des moyens bien pires que de fusiller les gens pour les faire mourir", et l'interprète m'a dit : "Vous ne savez pas ce que vous venez de faire. Vous allez partir dans un camp de concentration allemand; on n'en revient jamais." 

Monsieur DUBOST : - Vous avez été conduite alors en prison ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - J'ai été reconduite à la prison de la Santé, où j'ai été mise au secret. J'ai cependant pu communiquer avec mes voisins par les canalisations et par les fenêtres. je me trouvais dans la cellule à côté de celles du philosophe Georges Politzer et du physicien Jacques Salomon, le gendre du professeur Langevin, l'élève de Curie, l'un des premiers qui ait étudié la désintégration atomique. 

Georges Politzer m'a raconté par la canalisation que, pendant son interrogatoire, après l'avoir martyrisé, on lui a demandé s'il ne voulait pas écrire des brochures théoriques pour le national-socialisme. Comme il a refusé, on lui a dit qu'il ferait partie du premier train d'otages qui seraient fusillés. 

Quant à Jacques Salomon, il a été également horriblement torturé, puis jeté au cachot, d'où il n'est sorti que le jour de son exécution pour dire au revoir à sa femme, également arrêtée, et à la Santé. Hélène Salomon-Langevin m'a raconté à Romainville, où je l'ai retrouvée en quittant la Santé, que lorsqu'elle s'était approchée de son mari pour l'embrasser, il avait poussé un gémissement et lui avait dit : "Je ne peux pas te prendre dans mes bras car je ne peux plus bouger." 

Chaque fois que les détenus revenaient de l'interrogatoire, on entendait s'échapper par les fenêtres des gémissements et les détenus disaient qu'ils ne pouvaient plus se remuer. 

Durant le séjour de cinq mois que j'ai fait à la Santé, plusieurs fois on est venu chercher des otages pour les fusiller. 

En quittant la Santé le 20 Août 1942, j'ai été conduite au fort de Romainville, qui servait de camp d'otages. Là, j'ai assisté deux fois à des prises d'otages, le 21 Août et le 22 septembre. Parmi les otages emmenés, il y avait les maris des femmes qui se trouvaient avec moi et qui sont parties pour Auschwitz; la plupart y sont mortes. Ces femmes, pour la plupart, n'étaient arrêtées qu'à cause de l'activité de leur mari; elles n'en avaient aucunes elles-mêmes. 

Monsieur DUBOST : - Vous êtes partie à Auschwitz à quel moment ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Je suis partie pour Auschwitz le 23 janvier et arrivée le 27. 

Monsieur DUBOST : - Vous faisiez partie d'un convoi ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Je faisais partie d'un convoi de 230 françaises. Il y avait parmi nous Danielle Casanova qui est morte à Auschwitz, Maï Politzer, qui est morte à Auschwitz, Hélène Salomon. Il y avait de vieilles femmes... 

Monsieur DUBOST : - Quelle était leur condition sociale ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Des intellectuelles, des institutrices, un peu de toutes les conditions sociales. Maï Politzer était médecin; elle était la femme du philosophe Georges Politzer. Hélène Salomon est la femme du physicien Salomon; c'est la fille du professeur Langevin. Danielle Casanova était chirurgien-dentiste et elle avait une grande activité parmi les femmes; c'est elle qui a monté un mouvement de résistance parmi les femmes de prisonniers. 

Monsieur DUBOST : - Combien êtes-vous revenues sur 230 ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - 49. Il y avait dans le transport, de vieilles femmes; entre autres, je me souviens d'une de 67 ans, arrêtée pour avoir eu dans sa cuisine le fusil de chasse de son mari, qu'elle gardait en souvenir et qu'elle n'avait pas déclaré pour qu'on ne le lui prenne pas. Elle est morte au bout de 15 jours à Auschwitz. 

Le Président : - Vous avez dit que seulement 49 étaient revenues. Voulez-vous dire que seulement 49 sont arrivées à Auschwitz ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Non, seulement 49 sont revenues en France. 

Il y avait également des infirmes, en particulier une chanteuse qui n'avait qu'une jambe. Elle a été sélectionnée et gazée à Auschwitz. 

Il y avait aussi une jeune fille de 16 ans, une élève de lycée, Claudine Guérin. Elle est morte également à Auschwitz. Il y avait aussi deux femmes qui avaient été acquittées par le Tribunal militaire allemand; elles s'appellent Marie Alonzo et Marie-Thérèse Fleuri; elles sont mortes à Auschwitz. 

Le voyage était extrêmement pénible, car nous étions 60 par wagon et l'on ne nous a pas distribué de nourriture ni de boissons pendant le trajet. Comme nous demandions aux arrêts aux soldats lorrains enrôlés dans la Wehrmacht qui nous gardaient si l'on arrivait bientôt, ils nous ont répondu : "Si vous saviez où vous allez, vous ne seriez pas pressées d'arriver". 

Nous sommes arrivées à Auschwitz au petit jour. On a déplombé nos wagons et on nous a fait sortir à coups de crosses pour nous conduire au camp de Birkenau, qui est une dépendance du camp d'Auschwitz, dans une immense plaine qui, au mois de janvier, était glacée. Nous avons fait le trajet en tirant nos bagages. Nous sentions tellement qu'il y avait peu de chance d'en ressortir - car nous avions déjà rencontré les colonnes squelettiques qui se dirigeaient au travail - qu'en passant le porche, nous avons chanté la Marseillaise pour nous donner du courage. 

On nous a conduites dans une grande barraque, puis à la désinfection. Là, on nous a rasé la tête et on nous a tatoué sur l'avant-bras gauche le numéro de matricule. Ensuite, on nous a mises dans une grande pièce pour prendre un bain de vapeur et une douche glacée. Tout celà se passait en présence des SS, hommes et femmes, bien que nous soyons nues. 

Après, on nous a remis des vêtements souillés et déchirés, une robe de coton et une jaquette pareille. Comme ces opérations avaient pris plusieurs heures, nous voyions, des fenêtres du bloc où nous nous trouvions, le camp des hommes, et vers le soir, un orchestre s'est installé. Comme il neigeait, nous nous demandions pourquoi on faisait de la musique. A ce moment-là, les commandos de travail d'hommes sont rentrés. Derrière chaque commando, il y avait des hommes qui portaient des morts. Comme ils pouvaient à peine se traîner eux-mêmes, ils étaient relevés à coups de crosses ou à coups de bottes, chaque fois qu'ils s'affaissaient. 

Après celà, nous avons été conduites dans le bloc où nous devions habiter. Il n'y avait pas de lits, mais des bat-flanc de 2 mètres sur 2 mètres, où nous étions couchées à 9, sans paillasse et sans couverture la première nuit. Nous sommes demeurées dans des blocs de ce genre pendant plusieurs mois. Pendant toute la nuit, on ne pouvait pas dormir, parce que chaque fois que l'une des 9 se dérangeait - et comme elles étaient toutes malades, c'était sans arrêt - elle dérangeait toute la rangée. 

A trois heures et demie du matin, les hurlements des surveillantes nous réveillaient, et, à coups de gourdins, on était chassé de son grabat pour partir à l'appel. Rien au monde ne pouvait dispenser de l'appel, même les mourantes devaient y être traînées. Là, nous restions en rangs par cinq jusqu'à ce que le jour se lève, c'est-à-dire 7 à 8 heures du matin en hiver, et, lorsqu'il y avait du brouillard, quelquefois jusqu'à midi. Puis, les commandos s'ébranlaient pour partir au travail. 

 

Monsieur DUBOST : - Je vous demande pardon, pouvez-vous décrire les scènes de l'appel ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Pour l'appel, on était mis en rangs, par cinq, puis nous attendions jusqu'au jour que les Aufseherinnen, c'est-à-dire les surveillantes allemandes en uniforme, viennent nous compter. Elles avaient des gourdins et elles distribuaient, au petit bonheur la chance, comme ça tombait, des coups. 

Nous avons une compagne, Germaine Renaud, institutrice à Azay-le-Rideau, qui a eu le crâne fendu devant mes yeux par un coup de gourdin, durant l'appel. 

Le travail à Auschwitz consistait en déblaiements de maisons démolies, constructions de routes et surtout assainissement des marais. C'était de beaucoup le travail le plus dur, puisqu'on était toute la journée les pieds dans l'eau et qu'il y avait danger d'enlisement. Il arrivait constamment qu'on soit obligé de retirer une camarade qui s'était enfoncée parfois jusqu'à la ceinture. Durant tout le travail, les SS hommes et femmes qui nous surveillaient nous battaient à coups de gourdins et lançaient sur nous leurs chiens. Nombreuses sont les camarades qui ont eu les jambes déchirées par les chiens. Il m'est même arrivée de voir une femme déchirée et mourir sous mes yeux, alors que le SS Tauber excitait son chien contre elle et ricanait à ce spectacle. 

Les causes de la mortalité étaient extrêmement nombreuses. Il y avait d'abord le manque d'hygiène total. Lorsque nous sommes arrivées à Auschwitz, pour 12.000 détenues, il y avait un seul robinet d'eau non potable, qui coulait par intermittence. Comme ce robinet était dans les lavabos allemands, on ne pouvait y accéder qu'en passant par une garde de détenues allemandes de droit commun, qui nous battaient effroyablement. Il était donc presque impossible de se laver ou de laver son linge. Nous sommes restées pendant plus de trois mois sans jamais changer de linge; quand il y avait de la neige, nous en faisions fondre pour pouvoir nous laver. plus tard, au printemps, quand nous allions au travail, dans la même flaque d'eau sur le bord de la route, nous buvions, nous lavions notre chemise ou notre culotte. Nous nous lavions à tour de rôle dans cette eau polluée. Les compagnes mouraient de soif, car on ne distribuait que deux fois par jour un demi-quart de tisane. 

Monsieur DUBOST : - Voulez-vous préciser en quoi consistait l'un des appels du début du mois de février ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Il y a eu le 5 février ce que l'on appelait un appel général. 

Monsieur DUBOST : - Le 5 février de quelle année ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - 1943. A 3 heures et demie, tout le camp... 

Monsieur DUBOST : - Le matin ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Le matin. A 3 heures et demie tout le camp a été réveillé et envoyé dans la plaine, alors que d'habitude l'appel se faisait à 3 heures et demie, mais à l'intérieur du camp. Nous sommes restées, dans cette plaine, devant le camp, jusqu'à 5 heures du soir, sous la neige, sans recevoir de nourriture, puis, lorsque le signal a été donné, nous devions passer la porte une à une, et l'on donnait un coup de gourdin dans le dos, à chaque détenue, en passant, pour la faire courir. Celle qui ne pouvait pas courir, parce qu'elle était trop vieille ou trop malade, était happée par un crochet et conduite au bloc 25, le bloc d'attente pour les gaz. Ce jour-là, dix Françaises dans notre transport ont été happées ainsi et conduites au bloc 25. Lorsque toutes les détenues furent rentrées dans le camp, une colonne, dont je faisais partie, a été formée pour aller relever dans la plaine les mortes qui jonchaient le sol comme sur un champ de bataille. Nous avons transporté dans la cour du bloc 25 les mortes et les mourantes, sans faire de distinction; elles sont restées entassées ainsi. 

Ce bloc 25, qui était l'antichambre de la chambre à gaz - si l'on peut dire - je le connais bien, car, à cette époque, nous avions été transférées au bloc 26 et nos fenêtres donnaient sur la cour du 25. On voyait les tas de cadavres, empilés dans la cour, et, de temps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de se dégager : c'était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre. 

La mortalité de ce bloc était encore plus effroyable qu'ailleurs, car, comme c'étaient des condamnées à mort, on ne leur donnait à manger et à boire que s'il restait des bidons à la cuisine, c'est-à-dire que souvent elles restaient plusieurs jours sans une goutte d'eau. 

Un jour, une de nos camarades, Annette Epaux, une belle jeune femme de trente ans, passant devant le bloc, eut pitié de ces femmes qui criaient du matin au soir, dans toutes les langues : "A boire, à boire, de l'eau". Elle est rentrée dans notre bloc chercher un peu de tisane mais, au moment où elle passait par le grillage de la fenêtre, la Aufseherin l'a vue, l'a prise par le collet et l'a jetée au bloc 25. 

Toute ma vie, je me souviendrai d'Annette Epaux. deux jours après, montée sur le camion qui se dirigeait vers la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, la vieille Line Porcher, et au moment où le camion s'est ébranlé, elle nous a crié : "Pensez à mon petit garçon, si vous rentrez en France". Puis elles se sont mises à chanter la Marseillaise. Dans le bloc 25, dans la cour, on voyait les rats, gros comme des chats, courir et ronger les cadavres et même s'attaquer aux mourantes, qui n'avaient plus la force de s'en débarrasser. 

Une autre cause de mortalité et d'épidémie était le fait qu'on nous donnait à manger dans de grandes gamelles rouges qui étaient seulement passées à l'eau froide après chaque repas. Comme toutes les femmes étaient malades, et qu'elles n'avaient pas la force durant la nuit de se rendre à la tranchée qui servait de lieux d'aisance et dont l'abord était indescriptible, elles utilisaient ces gamelles pour un usage auquel elles n'étaient pas destinées. Le lendemain, on ramassait ces gamelles, on les portait sur un tas d'ordures et, dans la journée, une autre équipe venait les récupérer, les passait à l'eau froide, et les remettait en circulation. 

Une autre cause de mort était la question des chaussures. dans cette neige et cette boue de Pologne, les chaussures de cuir étaient complètement abîmées au bout de huit à quinze jours. On avait donc les pieds gelés et des plaies aux pieds. Il fallait coucher sur ses souliers boueux de peur qu'on ne les vole, et presque chaque nuit, au moment de se lever pour l'appel, on entendait des cris d'angoisse : " On m'a volé mes chaussures ". Il fallait alors attendre que tous les blocs soient vidés pour chercher sous les cadres les laissés-pour-compte. C'étaient parfois deux souliers d'un même pied ou un soulier et un sabot. Celà permettait de faire l'appel, mais pour le travail, c'était une torture supplémentaire puisque cela occasionnait des plaies aux jambes qui, à cause du manque de soins, s'envenimaient rapidement. Nombreuses sont les compagnes qui sont entrées au "Revier" pour des plaies aux jambes et qui n'en sont jamais ressorties. 

Monsieur DUBOST : - Que faisait-on aux internées qui se présentaient à l'appel sans chaussures ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Les internées Juives qui allaient à l'appel sans chaussures étaient immédiatement conduites au bloc 25. 

Monsieur DUBOST : - On les gazait donc ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - On les gazait pour n'importe quoi. Leur situation du reste était absolument effroyable. Alors que nous étions entassées à 800 dans des blocs et que nous pouvions à peine nous remuer, elles étaient dans des blocs de dimensions semblables, à 1.500, c'est-à-dire qu'un grand nombre ne pouvait pas dormir la nuit, ou même s'étendre. 

Monsieur DUBOST : - Pouvez-vous parler du Revier ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Pour arriver au Revier, il fallait d'abord faire l'appel. Quel que soit l'état... 

Monsieur DUBOST : - Voulez-vous préciser ce qu'était le Revier dans le camp ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Le Revier était les blocs où l'on mettait les malades. On ne peut pas donner à cet endroit le nom d'hôpital, car cela ne correspond pas du tout à l'idée qu'on se fait d'un hôpital. Pour y aller, il fallait d'abord obtenir l'autorisation du chef de bloc, qui la donnait très rarement. Quand enfin on l'avait obtenue, on était conduit en colonne devant l'infirmerie où, par tous les temps, qu'il neige, ou qu'il pleuve, même avec 40° de fièvre, on devait attendre devant la porte de l'infirmerie, avant d'avoir pu y pénétrer. Du reste, même de faire la queue devant l'infirmerie était dangereux car, lorsque cette queue était trop grande, le SS passait, ramassait toutes les femmes qui attendaient et les conduisait directement au bloc 25. 

Monsieur DUBOST : - C'est-à-dire à la chambre à gaz ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - C'est-à-dire à la chambre à gaz. C'est pourquoi, très souvent les femmes préféraient ne pas se présenter au Revier, et elles mouraient au travail ou à l'appel. Après l'appel du soir, en hiver, quotidiennement on relevait des mortes qui avaient roulé dans les fossés. 

Le seul intérêt du Revier, c'est que, comme on était couché, on était dispensé de l'appel, mais on était couché dans des conditions effroyables, dans des lits de moins d'un mètre de large, à quatre, avec des maladies différentes, ce qui faisait que celles, qui étaient entrées pour des plaies aux jambes, attrapaient la dysenterie ou le typhus de leur voisine. Les paillasses étaient souillées, on ne les changeait que quand elles étaient complètement pourries. Les couvertures étaient si pleines de poux qu'on les voyait grouiller comme des fourmis. 

Une de mes compagnes, Marguerite Corringer, me racontait que, pendant son typhus, elle ne pouvait pas dormir toute la nuit à cause des poux; elle passait sa nuit à secouer sa couverture sur un papier, à vider les poux dans un récipient auprès de son lit, et ainsi pendant des heures. 

Il n'y avait pour ainsi dire pas de médicaments; on laissait donc les malades couchées, sans soins, sans hygiène, sans les laver. On laissait les mortes pendant plusieurs heures couchées avec les malades, puis quand enfin on s'apercevait de leur présence, on les balançait simplement hors du lit et on les conduisait devant le bloc. Là, la colonne des porteuses de mortes venait les chercher sur de petits brancards, d'où la tête et les jambes pendaient. Du matin au soir, les porteuses de mortes faisaient le trajet entre le Revier et la morgue. 

Pendant les grandes épidémies de typhus des hivers 1943 et 1944, les brancards ont été remplacés par des chariots, car il y avait trop de mortes. Il y a eu, pendant ces périodes d'épidémie, de 200 à 350 mortes par jour. 

Monsieur DUBOST : - Combien mourait-il de gens à ce moment-là ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Pendant les grandes épidémies de typhus des hivers 1943-1944, de 200 à 350 suivant les jours. 

Monsieur DUBOST : - Le Revier était-il ouvert à toutes les internées ? 

Madame VAILLANT-COUTURIER : - Non, quand nous sommes arrivées, les Juives n'avaient pas le droit d'y aller, elles étaient directement conduites à la chambre à gaz. 
Source: site de la fndirp(uniquement le témoignage)
Par Thibault Dudognon
 
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